Cet article se propose de faire découvrir le riche passé de la bâtisse qui abrite de nos jours les locaux de la mairie. Maison forte, presbytère, maison particulière, elle changea maintes fois, au gré de l’Histoire, de propriétaires et de fonctions. Voici donc l’histoire de la Rectoria de Joch…

Des origines jusqu’au XVIe siècle : Une maison templière, la famille Salvetat

Il est établi que, dès le XIIe siècle, les Templiers possédaient de nombreux biens dans la seigneurie de Joch. Une commanderie y est déjà mentionnée en 1182. Comme en témoigne un document daté de 1826 par lequel nous allons commencer notre récit, le souvenir de l’ordre du Temple a perduré pendant des siècles dans la baronnie.

Cette année-là, Joseph Patau, maire de Finestret, écrit :

« Le village de Finestret est ancien, son église date du dixième siècle et celle-ci fut pendant neuf cents ans le chef-lieu de la division ecclésiastique des terroirs environnants. La petite commune de Joch n’était d’abord qu’une commanderie de templiers, plus tard un fief et chef-lieu de baronnie et de vicomté de la famille aragonaise des Comtes d’Aranda et sa chapelle reconstruite fort tard pour la seule population que le château avait attirée dans son voisinage, ne fut jusques vers le milieu du dix-huitième siècle qu’une chapelle dépendante de Sainte Colombe de Finestret. »

Il est intéressant de noter que, parmi ces propos pour la plupart historiquement infondés et où l’importance de l’ordre du Temple dans la baronnie paraît très exagérée, est évoquée une ancienne commanderie de Templiers à Joch.

Revenons-en à présent aux premières mentions connues et avérées. L’acte de1182 nous fournit de précieuses indications : on y apprend que cette commanderie se situait près du château de Joch (juxta castrum) sur le chemin conduisant à Finestret.

Plus tard, quand les Templiers furent exterminés (début du XIVe), les nombreux biens qu’ils détenaient à Joch et dans toute la baronnie furent confisqués et donnés aux Hospitaliers de Bajoles.

Il est donc fort probable que les Templiers, puis leurs successeurs les Hospitaliers, aient possédé à Joch non pas une commanderie mais au moins une bâtisse fortifiée destinée à conserver les grains, engranger les récoltes de leurs terres et éventuellement protéger les paysans qui les travaillaient.

Or, il existe bien à Joch une maison forte située non loin du château en direction de Finestret. Mais où est donc cette maison fortifiée ?

Nous savons qu’au XVe siècle l’une des familles les plus aisées de Joch porte le nom de Salvetat. Attardons-nous un peu sur l’origine du nom Salvetat : un toponyme bien précis qui indique toujours un lieu placé sous une protection ecclésiastique et par extension le nom de la famille occupant ce lieu.

Il est donc plus que probable que les Salvetat résidaient dans la maison forte ayant appartenu autrefois aux Templiers puis aux Hospitaliers.

De plus, le capbreu (registre terrier) que Bernat de Perapertusa, seigneur de Joch, fait établir en 1466 nous indique avec précision où habitent les Salvetat. Antoni Salvetat déclare, en effet, posséder une maison als barris c’est-à-dire un peu à l’extérieur du village proprement dit. On apprend que sa demeure s’élève entre la voie via publica qui conduit à Finestret et le ruisseau rec del pla. Antoni Salvetat possède aussi le côteau qui, jouxtant sa maison, s’étend du ruisseau jusqu’au chemin qui mène à Baillestavy. Pour qui connaît Joch, il ne peut y avoir aucun doute : la demeure des Salvetat est bien l’actuelle mairie du village.

Promenez-vous carrer major et regardez bien maintenant notre imposante mairie. Bien que maintes fois transformée puis restaurée on peut encore y voir, dans sa partie basse, deux meurtrières en parfait état.

la rectoria de nos jours
Mairie, façade donnant sur le Carrer Major

Dans les dernières années du XVIe siècle, cette maison est la propriété de Joan Salvetat. Il y vit avec sa fille Anna et l’époux de celle-ci Miquel Navarra.

En 1591, Joan Salvetat rédige son testament. Sa fille Anna étant déjà décédée, Joan lègue tous ses biens à son petit-fils Antoni Navarra.

Dès lors, les Navarra posséderont cette maison et y vivront durant tout le XVIIe siècle.

Les XVIIe et XVIIIe siècles : La famille Navarra, la rectoria.

Antoni Navarra meurt en 1611. Son fils, Francesc, né en 1602, épousera Margarida Ciuro de Vinça. Il s’établira, dès lors (1624), dans cette ville.

Cependant un autre membre de la famille Navarra a continué de vivre à Joch. Il s’agit de Joan Angel Navarra, frère cadet d’Antoni. En 1620 il a épousé Catarina Pallarès et, en 1633, est né Josep leur seul fils. Josep Navarra, se marie une première fois en 1665. Veuf et sans enfants, il se remarie, en 1679 ou 1680 mais, très peu de temps après son second mariage et n’ayant toujours aucune descendance, il disparaît brusquement. Josep Navarra a quitté le village…plus personne ne l’a revu, nul ne sait ce qu’il est advenu de lui ni les raisons qui ont pu le pousser à partir de Joch en abandonnant tous ses biens. Josep Navarra ne reparaîtra plus jamais à Joch.

Ainsi disparaît la famille Navarra de Joch. Qui a donc hérité de leurs possessions, de leur maison ?

Il semble que le seul héritier direct soit Francesc Navarra, fils de Francesc Navarra et de son épouse Margarida Ciuro. Francesc Navarra est né à Vinça dans les années 1630. Il y est prêtre et a été, en 1665, témoin du mariage de son cousin Josep. En 1670, dans son testament, sa mère l’a désigné comme héritier de tous ses biens, ce qui tend à prouver qu’il était alors le seul enfant vivant de Francesc et Margarida Navarra. On peut donc supposer que Francesc Navarra, prêtre, a hérité de la maison des Navarra de Joch puis l’a léguée à l’Eglise car, dans la dernière décennie du XVIIe siècle, elle devient le presbytère du village, la rectoria ou maison de la prévôté.

C’est à ce moment-là que des travaux d’embellissement et de rénovation sont entrepris dans la demeure. En 1693, le plafond à caissons et la porte d’entrée de l’une des chambres sont décorés de motifs floraux, une fresque à médaillons vient orner la partie haute de chacun des murs de la pièce. On ne connaît pas le nom de l’artiste qui a réalisé cette œuvre ni à qui elle était précisément destinée. On peut cependant affirmer, sans crainte de se tromper, que ce travail a été commandé pour et par un religieux. En effet, sur la poutre centrale, on distingue encore quelques mots en latin, fragments d’un texte extrait de la bible. On y lit :

US HIC …. ….. … ….. O…. …. ….. …IA LAUDIS I.ST FRUCTUM LABORIUM CONFITENTIUM NOMINI EIUS PAU AD. HEB. CA.VER

On trouve cette phrase dans l’épitre de Saint Paul aux Hébreux (13,10 Bible) : 

Per ipsum offeramus hostiam laudis semper Deo id est fructum laborium confitentium nomini ejus…

inscription plafond peint
Plafond peint, détail de la poutre portant l’inscription latine

Le prévôt de Joch est alors Joan Gendrillo, il dessert la paroisse depuis 1687. Joan Gendrillo a donc été le premier prêtre de Joch à pouvoir profiter du luxe que représentait, à l’époque, une telle chambre. A-t-il été à l’initiative de ce projet ? En 1715, il quitte Joch pour devenir prieur d’Espira de Conflent.

Plus tard, en 1733, son successeur Emmanuel Rodriguez cite, dans son testament, la maison de la prévôté qui est sa demeure.

Le 5 mai 1756, Joseph Guillot, prévôt de Joch depuis 1754, célèbre la cérémonie de la pose de la première pierre de la nouvelle église. L’ancienne était jugée trop petite et trop éloignée du village, la nouvelle est édifiée à deux pas de la rectoria. Joseph Guillot a donc pu suivre, au jour le jour, du pas de la porte de son presbytère, la construction de l’actuelle église. Il décède en 1772, quelques années avant la fin des travaux (1778).

Dix ans plus tard, éclate la Révolution Française, et les choses vont encore changer !

Le XIXe siècle : De la Révolution Française à la loi de séparation des Eglises et de l’Etat

Issu de la famille la plus riche de Joch, François Molins est né 1750. Il devient prêtre en 1780. Résidant à Joch, il remplace souvent le prévôt Daniel de Lacroix puis dessert assez régulièrement la paroisse entre 1787 et 1789.

La Révolution éclate.

Il est alors demandé aux religieux de prêter serment de fidélité à la Nation, à la Loi et au Roi et de maintenir la Constitution décrétée par l’Assemblée Nationale.

Joseph Dulçat, en charge de la paroisse de Joch depuis 1789, refuse de prêter serment. Prêtre réfractaire, il est banni, en 1792, du territoire français.

De son côté, François Molins, qui est depuis toujours entièrement acquis aux idées portées par la Révolution, prête naturellement serment et devient ainsi curé constitutionnel de Joch. De plus, en 1798, il sera élu maire du village.

Qu’est donc devenue, dans ces temps si troublés, la rectoria ?

Les biens du clergé furent nationalisés dès les premiers temps de la Révolution Française puis rapidement mis en vente.

En 1796, la maison curiale de Joch n’est toujours pas vendue, elle sert de maison communale mais elle va vite trouver un acquéreur en la personne de François Molins ! Il en fera sa demeure et y résidera jusqu’à sa mort en 1825.

Après le Concordat de 1801, Joch devient, sur le plan religieux, chef-lieu d’une succursale qui comprend les villages de Rigarda et Glorianes. François Molins y est conservé un temps comme desservant mais très vite on lui demande de choisir entre ses deux fonctions de maire et curé. Il choisit de rester maire.

Un nouveau desservant arrive à Joch. Où le loger ? L’ancien presbytère étant la propriété et la résidence de François Molins, la commune décide de verser au prêtre une indemnité lui permettant de louer une maison dans le village. Durant des années, cette indemnité va être source de conflits permanents entre les desservants de la paroisse et François Molins maire du village.

François Molins décède le 27 mars 1825. Il lègue tous ses biens à l’un de ses petits-neveux.

Après avoir été contraints de loger chez l’habitant, les desservants de Joch reviennent habiter au presbytère, le nouveau propriétaire des lieux leur prêtant, ou leur louant cette maison.

Le 27 octobre 1828, veille de sa mort, Pierre Aymar, curé du village, y rédige son testament :

fait et passé en la maison de M. François Molins où le dit Pierre Aymar fait son habitation, en une chambre sise au premier étage en laquelle le dit testateur est alité…

En 1839, la loi impose aux municipalités de trouver ou de construire une maison tenant lieu de presbytère.

« Le conseil municipal de Joch est d’avis que l’acquisition de la maison qu’occupe Monsieur le Curé qui était anciennement la maison curiale serait plus avantageuse que la construction d’un nouveau presbytère »

Un an plus tard, en août 1840, nouvelle délibération du conseil municipal :

« Le conseil fait état des démarches faites auprès de la famille Molins, pour arriver à l’achat de la maison que nous avons toujours eue en vue pour en faire un presbytère ; cette maison assez vaste, bien située, presque en face de l’église dont elle n’est obliquement séparée que par la rue, est la plus convenable, la plus propice que nous puissions trouver. Elle est en ce moment logeable, Monsieur le curé (Pierre Buscall) l’occupe depuis fort longtemps et s’y plait. »

Ce n’est que le 21 janvier 1843 que la commune de Joch achète, pour la somme de 3000 francs, l’ancienne rectoria :

« Monsieur François Molins, aspirant surnuméraire dans l’administration de l’enregistrement et des domaines demeurant à Perpignan ayant son domicile de droit à Joch, vend à la commune de Joch une maison avec terrain complanté d’arbres confrontant du levant avec Joseph Sabaté et Sylvestre Lavall, du midi le ruisseau de la plaine franc-bord servant de chemin entre deux, du couchant avec les héritiers du Sieur Matthieu Molins, du nord la rue publique, carrer de baix. Ces objets appartenant à Monsieur François Molins légataire universel de Monsieur François Molins prêtre son oncle, suivant le testament olographe de ce dernier … La commune acquéreuse en jouira de suite et pourra convertir ces immeubles en maison presbytérale. »

En 1846, le nouveau curé de Joch est Barthélémy Rouch. Quelques temps après son arrivée, il demande à la municipalité d’entreprendre quelques réparations au presbytère. Selon lui, la rectoria est à peine habitable :

« Cette maison est constamment humide à cause du ruisseau mais si, habitant cette maison, on est toujours dans un bain, l’on n’en est pas moins pour cela à l’abri des vents, douze ouvertures donnent la lumière et laissent pénétrer les vents en même temps, les unes manquent de croisées, les autres de volets. Bref, dans cette maison si on excepte les quatre murailles qui ont encore besoin d’être recrépies, tout le reste doit être restauré sans retard…les gouttières y sont partout ! »

Barthélémy Rouch précise, qu’en peu de temps, trois de ses prédécesseurs sont morts à cause du manque de salubrité du presbytère. Malgré le mauvais état de sa demeure, Barthélémy Rouch restera curé de Joch pendant plus de quarante ans, demandant inlassablement que l’on répare la rectoria.

Le 19 mai 1887, lors de sa visite pastorale, Monseigneur Gaussail, Evêque de Perpignan, note dans son procès-verbal que :

« L’état du presbytère qui abrite le curé et sa servante laisse beaucoup à désirer…il est urgent de refaire la toiture »

Il regrette qu’il n’y ait aucun projet de réparations. Cependant, par la suite, divers secours de la préfecture permettront de réparer le toit, les hommes du village fournissant des prestations en nature pour le transport des matériaux.

Barthélémy Rouch meurt à Joch, en 1887, à l’âge de 77 ans, n’ayant, sans doute, jamais pu profiter du nouveau toit du presbytère !

Au mois de décembre 1905, est votée la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Le curé de Joch est alors Thomas Llobet. Arrivé à Joch une dizaine d’années plus tôt, Thomas Llobet, homme au fort caractère, est constamment en brouille avec la municipalité.

La nouvelle loi le révolte ! En 1906, lors de l’inventaire des biens de l’église, il frappe d’anathème quiconque porte une main sacrilège et spoliatrice sur l’église. L’année suivante, la municipalité exige que Thomas Llobet paye un loyer de 100 Francs pour pouvoir continuer à occuper le presbytère. Outré par une telle demande, son refus est catégorique. Le maire décide donc de louer la rectoria par voie d’adjudication, le curé Llobet se voit alors contraint de quitter le presbytère pour aller loger dans une maison de la forsa qu’un abbé originaire du village, l’abbé Fournols, met à sa disposition.

Thomas Llobet meurt à Joch le 22 octobre 1920, il était né à Céret en 1849 et repose sous la croix centrale de notre cimetière.

Le 15 mars 1920, le conseil municipal décide de vendre aux enchères publiques l’ancien presbytère. Il deviendra alors la demeure de la famille Cassany.

Dans les années 1990, la commune achète aux héritiers de cette famille l’ancienne rectoria pour en faire la marie du village.

Texte : Jean-Claude Graule